dimanche 11 décembre 2011

Sans jamais le dire*

Pas très envie de sortir. C'était prévisible, et prévu d'ailleurs dès le jour où j'ai pris ma place. Je me fais un peu violence. Ce sera extraordinaire. Comme toujours. Et puis, tout de même, depuis le temps que j'attends, pas question de renoncer.

La salle est quasiment vide. De vieux abonnés, une poignée d'initiés. Je ne m'y ferai jamais, c'est tellement incompréhensible. Un tel talent circonscrit à ceux qui savent.

Du coup, deuxième rang, plein centre. La dernière fois que je l'ai vu d'aussi près c'était... ah oui, quand même, avant 86 donc. Quoique, non, il y eut une autre occasion où ce fut plus proche encore, une période si heureuse qu'elle se perd un peu dans des brumes incertaines.

Le pianiste s'installe, puis une silhouette avance dans la brume.

Une vague d'émotion me submerge. Inattendue. Juste en le voyant avancer, encore indistinct. La dernière fois que j'ai éprouvé cette même sensation... Rien à voir pourtant. Ou bien au contraire ? L'émotion qui bouleverse l'âme, en révèle l'existence même. Et déjà une reconnaissance éperdue.

Comme c'est étrange ces applaudissements convenus. Je ne l'ai jamais vu auparavant que face à un public conquis, enthousiaste, même la toute première fois la communion était palpable, le silence intense, le rire libérateur.

Mais très vite même si la salle est loin d'être pleine les applaudissements sont aussi nourris que d'habitude, l'admiration habituelle au rendez-vous, l'intensité présente dès le premier mot.

Des mots connus par coeur pour la plupart, et pourtant jamais je ne les ai entendus ainsi, jamais si bien écoutés, ressentis. Comme d'habitude, comme toujours. Voilà longtemps j'ai assisté dans le même état à plusieurs représentations du même récital, jamais l'habitude ne s'y est insinuée, une émotion intacte chaque soir.

Une fois encore, je regrette qu'il n'en soit pas plus souvent ainsi. Que l'émotion ne soit pas toujours indicible. Que le paroxysme reste exceptionnel.

Le temps a passé et fait son oeuvre, mais la voix, le geste, la grâce, le sourire d'enfant même, sont toujours là. L'émerveillement le dispute un peu à la peine. Comment vit-on le temps qui passe ? A vrai dire, j'ai l'impression qu'il s'assume très bien, que c'est plutôt moi qui devrais me morigéner d'être si sensible encore aux apparences. Mais tout de même, cette salle, ce public clairsemé, refaire ses preuves après tant de triomphes ? séduire à nouveau des inconnus quand on est attendu ailleurs avec tant d'impatience, offrir une version minimaliste d'un spectacle encensé hier à peine ?

Mais non, il sourit, plaisante, complice, heureux, transfiguré. Comme avant, comme devant les acclamations parisiennes. Du bonheur dispensé avec tant de générosité. Un modèle, une voie qui se dessine, limpide, comme toujours.

Court, trop court, objectivement bien court. Je sors légère, ravie, pleine d'énergie. Et en même temps si fragile. J'ai besoin d'une pause pour me rassembler. J'ai bien fait de venir seule. Même si je regrette en même temps de n'avoir jamais convaincu personne de l'ineffable cadeau que ce serait à coup sûr.

A nouveau je sais. Et je ne veux plus l'oublier.

Mais l'euphorie se heurte violemment au mur de la réalité moins de vingt minutes plus tard...

Peu importe. Un moment de pur bonheur. Merci. Juste merci.




* J'ai longtemps tenu un journal intime. Lorsque les choses me touchent de trop près, impossible d'écrire clairement de quoi il est question. Une sorte de superstition pour que la magie n'aille pas disparaitre pas sous un jour trop cru...

7 commentaires:

Ed a dit…

Je pense que tu aurais réussi à me décider. Et que je n'aurais pas regretté.
J'ai bien une idée, mais...

Axel a dit…

Je sais que tu as bon goût Ed ! (et pas mal d'intuition aussi...)

Le CPE a dit…

Et c'est qui donc ce magicien ?

Axel a dit…

Quelque part sur le côté ;-)

Ed a dit…

Joyeux Noël amie de blog !

Un partageux a dit…

Ca me rappelle une chanson de Moustaki : "Je voudrais sans la nommer lui rendre hommage."

Axel a dit…

Joli parallèle, merci...