dimanche 9 juin 2013

L'amour du verbe

Une matinée de pur plaisir hier.

J'y allais pourtant sans grand enthousiasme, au point de prendre comme un signe du destin la difficulté à trouver la salle. Heureusement d'ailleurs que j'avais prévu large pour la route, oubliant que le samedi la circulation matinale est bien plus facile, parce que le temps a filé en aller retours et demandes aux passants qui écarquillent les yeux.

Une programmation modifiée à la dernière minute parce que certains n'ont pu se rendre disponibles, mais si je n'avais pas eu le programme auparavant c'est à peine si je m'en serais rendue compte. L'équipe a tout géré de main de maître. Un colloque donc, un colloque international des écrivains en herbe, un samedi matin quand la pluie menace, dans la grande ville que je n'ai toujours pas appris à aimer.

Lorsque les lumières s'éteignent, un petit spectacle de danse muet, en dehors du violoncelle et d'une voix qui module des sons beaux et étranges. Les inévitables discours ensuite, mais finalement ils sont relativement courts et plutôt intéressants. Un petit accès de pédanterie de la part d'un universitaire mais dans l'ensemble la passion et l'engagement affleurent bien davantage que la conscience de la fonction des uns et des autres.

Un écrivain qui porte un prénom féminin, que l'on reçoit avec déférence, que je ne connais pas, dont le nom ne me disait rien du tout, qui parle de sa famille en utilisant un nom différent. Et puis, très vite, un homme que l'on a envie d'entendre, de connaître, de lire. Une fois de retour, je cherche des informations. Pour découvrir que je devrais le connaître, que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de lire l'un de ses livres. Et que j'ai dû, je suppose, le confondre avec je ne sais qui, car je me souviens parfaitement avoir toujours décliné, sûre de ne pas être intéressée par l'ouvrage. J'ai l'impression d'avoir confondu deux titres. Ne reste plus qu'à me procurer à présent ses ouvrages. Ce que j'étais décidée à faire le jour même mais la pluie battante à la sortie avec une robe printanière et sans autre protection qu'un foulard, m'en a dissuadée. Yasmina Khadra, donc, un petit homme qui m'a paru plus âgé qu'il ne l'est si j'en crois sa notice biographique.
Un homme plein d'humour qui aime les mots, les choisit avec soin, et qui sait partager sa passion du Verbe et toute l'importance qu'il accorde à la vie et à l'individu. Un invité d'honneur qui s'ennuie un peu aussi et ne semble pas trop à l'aise quand on le charge de remettre les prix.

Puis vient le moment qui a fait de cette journée un pur moment de bonheur. A force d'être sur le pont jour après jour, avec ces élèves qui n'ont aucune envie d'être là, avec ceux qui rejettent toute idée de culture parce qu'ils souffrent depuis trop longtemps de leurs difficultés scolaires. A force de médiocrité affichée, revendiquée chez trop de personnages publics. A force de découragement, on oublie que cela existe toujours. Des amoureux de la langue et des mots, des amoureux des livres et des beaux livres.

Une jeune fille qui s'exprime avec aisance, drôle et modeste, qui parle de ses écrits et espère avoir progressé.
Un garçon fragile, qui paraît plus jeune que mon fils de 16 ans mais étudiant en master, brillant et sensible, qui s'affirme finalement avec une grande élégance.
Les étudiants de BTS qui ont fabriqué le livre, le seul qui s'exprime fait montre d'un enthousiasme communicatif pour son futur métier d'imprimeur, d'une parfaite aisance devant la salle, il fait peut-être un tout petit peu étalage de ses connaissances techniques mais que c'est donc agréable et rassurant d'entendre un élève comme lui.
Pour la plupart des gens que je connais, un BTS est une véritable qualification professionnelle. Mais à lire, jour après jour, le point de vue de leurs enseignants de Lettres cette image s'était considérablement brouillée. Ce jeune homme m'a réconciliée. Et je ne saurais assez l'en remercier.
Un jeune garçon est venu d'Allemagne où il est scolarisé au lycée français. Un peu timide, il révèle avoir écrit son texte pour un devoir "à la dernière minute" et s'être finalement laissé emporté une partie de la nuit. Le début du texte est projeté derrière lui, le contraste entre son style enlevé et son attitude me rappelle à nouveau le pouvoir de l'écriture, ce pouvoir de mettre à jour une sensibilité bien souvent dissimulée au regard trop rapide du quotidien.
Un jeune homme, très à l'aise, de "la montagne Sainte Geneviève" qui a pris l'écriture de son texte, encore un devoir imposé, comme une sorte de défi. L'image que je me fais, en effet, de ces jeunes gens déjà formés pour l'élite, mais surtout un jeune homme ouvert, au verbe agréable, dont l'élégance détonne un peu - aussi bien parmi les lauréats que comparé à la majorité des personnes présentes dans la salle - mais sans aucune ostentation, sans affectation.
Un petit élève, un peu étonné d'être là, qui se lance dans l'explication de son texte (inspiré par la mythologie) et les noms qu'il a choisis pour ses personnages. Enfin pour l'un, cela se résume à : "C'est mon professeur qui m'a aidé".
Une jeune fille, elle aussi bien étonnée, car elle a écrit un blog "de femme", sur les préoccupations "des femmes", et vraiment elle trouve ses écrits bien différents des précédents. Son insistance sur les femmes chez une toute jeune fille prête à sourire, mais son inquiétude visible de ne pas être à la hauteur des autres lauréats qu'elle semble considérer comme de véritables écrivains est touchante.

Bref, neuf jeunes gens invités à s'exprimer sur leur texte et pas une fausse note.

Des jeunes gens pleins de vie, de passion, d'espoir. Des jeunes gens qui aiment écrire. De quoi retrouver la foi, renouer avec l'espérance, s'envoler à nouveau avec de grands mots : croire en l'homme, en l'avenir d'humanité, au pouvoir infini des mots, au Verbe créateur.


L'Académie du livre - Colloque Florilège international des écrivains en herbe Francophones