dimanche 18 mai 2014

Grandeur et décadence

Le battage médiatique autour de Jérôme Kerviel en ce moment me conduit à m'interroger sur la chute, sur ma perception de la chute plus exactement. Oui, j'ai des cheminements de pensée quelque peu tortueux.

C'est peut-être que je ne suis pas très sensible aux gags en général, mais le fait est que les gens qui trébuchent ou qui tombent ne m'ont jamais fait rire. Mais jamais. Quand certains s'esclaffent, paraît-il naturellement, ma première réaction a toujours été l'inquiétude.

Finalement, je réalise qu'il en est de même pour celui qui "tombe de haut". Ces gens qui semblaient avoir tout pour eux puis le perdent soudain, et se retrouvent désignés à la vindicte populaire, quels qu'ils soient, commencent toujours par m'émouvoir. Avant d'y avoir vraiment réfléchi, c'est ma première réaction, qu'ils soient ou non sympathiques. Parce que, franchement, au premier abord, ce J. Kerviel ne fait pas partie des gens que je pourrais apprécier, ni plaindre quand il leur arrive de perdre. Même si ce qui lui est tombé dessus après coup me paraît totalement disproportionné, on ne peut pas dire que son attitude depuis me le rende plus sympathique. Et pourtant, oui, je comprends ce comité de soutien et j'en arrive à le plaindre, lui, en tant que jeune homme écrasé par les conséquences d'un jeu malsain certes mais pour lequel il avait été d'abord recruté.

Mais ce qui m'émeut plus encore, parce que d'une certaine façon cela renforce ma confiance en la vie, c'est lorsqu'une personne après être tombée se relève et semble avoir retrouvé le goût de vivre. Au fond de moi, je pense que nous sommes tous capables de nous remettre de tout. C'est une idée dérangeante parce qu'elle sous-entend que le désir de vivre est le plus fort, que la mort, la perte, le désespoir ne nous empêcheront pas de rire et d'aimer encore, mais c'est aussi comme un hymne à la vie infiniment plus puissante que la mort, la perte, le désespoir.

Alors c'est peut-être plus visible lorsqu'il s'agit d'une personnalité, ou juste d'un garçon comme les autres pris sous les feux de l'actualité, mais c'est tout aussi vrai au quotidien. Pour cette mère qui a perdu coup sur coup, à un an d'intervalle exactement, ses deux plus jeunes filles, laissant l'une comme l'autre un enfant orphelin. Il est difficile d'imaginer dans quels abîmes elle a pu s'abîmer pendant des mois, de la solitude qui a dû l'étreindre en voyant son mari, ses grands enfants presque lui reprocher de se laisser abattre, de ne pas se faire violence pour continuer. Et puis, peu à peu, la vie a repris ses droits. Et un jour elle a retrouvé le sourire, l'envie, renoué avec les projets et l'enthousiasme. La douleur n'a pas disparu et continue à affleurer souvent, mais sa vie a repris. Et je trouve ce mystère aussi bouleversant que celui de la vie même.

Bertrand Cantat parle dans "Les Inrockuptibles", en kiosques le 23 ...