lundi 21 novembre 2011

Haute sécurité

Souvenir surgi de cette lecture.

Dans mon souvenir j'étais encore une petite fille, si je croise les dates je devais avoir 12 ans. Nous étions dans une rue commerçante avec ma mère lorsque j'ai entendu des cris, des hurlements qui m'ont paru certainement plus tragiques qu'ils n'étaient. Et puis j'ai vu.
Des hommes en uniformes qui en traînaient un autre sur le sol. Celui qui criait. Et se débattait comme un beau diable.
J'en suis restée d'abord tétanisée, avant de m'effondrer en larmes dans les bras de ma mère assez désemparée devant mon désespoir ce me semble. Mais ça c'est une constante...

Quoi qu'il en soit, je crois que c'est cet acte fondateur-là qui me tétanise toujours lorsqu'il est question d'arrestation. Ce jour-là, indissolublement lié à un autre. Un autre qui a dû avoir lieu bien des années plus tard puisque j'étais seule dans une gare. Mais les deux événements sont intimement liés dans ma mémoire, comme s'ils s'étaient en réalité succédés.

Une gare. Une foule. Et soudain, juste en face de moi, un homme menotté, encadré par deux hommes en uniforme. Le temps s'est arrêté. Vraiment. J'ai regardé cet homme. J'ai dû blêmir je crois. Chanceler certainement parce que je sens encore, juste en y repensant, le coup que j'ai cru recevoir de plein fouet. Un coup véritable, comme un poing qui m'aurait traversée pour continuer à me broyer de l'intérieur. Une sensation animale, instinctive, antérieure à toute pensée consciente.
Et cet homme, cet inconnu dont les entraves me broyaient le coeur, m'a regardée et m'a adressé un franc sourire, lumineux, chaleureux. Un sourire que j'ai instantanément perçu comme une volonté de me rassurer.
Je suis intimement convaincue qu'il a voulu, lui, me rassurer, qu'il avait conscience de cet abîme qui venait de s'ouvrir à mes pieds et qu'il m'a en quelque sorte tendu la main.

Je ne peux pas plus l'expliquer aujourd'hui que lors de ces jours à présent lointains, mais l'idée même de la contrainte physique, et plus encore, de la privation de liberté me ravage au-delà des mots.

6 commentaires:

Le CPE a dit…

Souvenir excepté, je partage totalement ce que tu ressens.

Axel a dit…

Merci à toi. Au moment d'enregistrer j'ai hésité. Tu n'imagines pas à quel point je peux me sentir seule avec ce genre de ressenti, alors pour le partage mis par écrit, vraiment, merci.

Ex-prof a dit…

Un souvenir semblable au 2ème que tu évoques : trio monté dans un train de banlieue... Ma réaction a été moins violente... mais je sais que je n'ai pas pu regarder l'homme menotté... un peu comme si j'étais complice de ceux qui le tenaient prisonnier...

Et pourtant... impossible d'espérer que le monde puisse un jour se passer de ces "garde-fous"... surtout quand la société fabrique de plus en plus de "fous"...

Axel a dit…

Pourquoi "impossible" ? Pas dans un avenir visible, certes, mais je garde l'espoir d'un monde meilleur et plus fraternel. Plus humain simplement.
Considérer qu'un être humain ne peut pas vivre parmi ses semblables c'est forcément un échec.
Là où je te rejoins hélas c'est qu'il semble que les relations se durcissent aujourd'hui, il me semble que lors des fameux "exposés" en fin de collège et début de lycée il n'était pas bien difficile de trouver des thèses (adultes j'entends) réfutant la perversité, des tentatives aussi de prisons ouvertes. Aujourd'hui c'est tout juste s'il ne devient pas naturel de réclamer une "vraie" perpétuité pour les "irrécupérables". Je n'arrive pas à m'y faire.

Ed a dit…

Les gares sont le cadre de nombreuses scènes traumatisantes de ce genre. Je réagis sensiblement comme toi à leur vue. Je suis également prise d'une peur panique dès que je vois les soldats arpenter les halls de gare armés de leurs mitraillettes. Oui, jeunes et vieux partagent aujourd'hui des théories bien définitives quand il s'agit d'enfermement. Il y a quelques années on réclamait plutôt l'amélioration des conditions de vie en prison, la mise en place de thérapies, aujourd'hui c'est la protection, le risque zéro, l'anticipation de ces risques.

Axel a dit…

Merci Ed de me confirmer que je n'ai pas rêvé ce qui se disait il n'y a pourtant pas des siècles de cela !

Au passage, je suis vraiment ravie d'avoir des lecteurs comme vous. Parfois (pas toujours heureusement mais bien trop souvent à mon goût) j'ai l'impression d'être cernée. C'est sûrement faux même en ces occasions d'ailleurs mais sur le coup difficile de s'en rendre compte. Avec des commentaires - et des gens - posés c'est quand même beaucoup plus apaisant.